Depuis 2019, les enlèvements de personnalités liées aux crypto se multiplient à un rythme alarmant. Entrepreneurs, influenceurs, investisseurs et leurs proches deviennent des cibles privilégiées pour des criminels attirés par la liquidité et l’anonymat des actifs numériques. En 2024, on recensait 50 attaques dans le monde, dont 14 en France, selon Eric Larchevêque, cofondateur de Ledger .
Le virus invisible de la criminalité financière
Les cryptomonnaies ont révolutionné la finance. Elles ont aussi introduit un vecteur inédit de criminalité. En quelques années, les crimes numériques ont muté. Des attaques virtuelles, les malfaiteurs sont passés à la violence physique. Ce glissement marque un tournant : les crypto-actifs sont devenus suffisamment puissants pour attirer les méthodes des cartels, des mafias et des réseaux internationaux.
Ces enlèvements visent une nouvelle élite, souvent jeune, dispersée, connectée et moins protégée que les élites traditionnelles. Leur fortune est numérique, mobile et parfois instantanément transférable sous la menace. Les criminels s’adaptent. Ils savent que ces cibles n’ont pas besoin d’aller à la banque pour virer des millions.
Une opération à faible risque pour les ravisseurs
Le schéma est simple : repérage sur les réseaux, attaque ciblée, extraction rapide des mots de passe ou des seed phrases, puis disparition avec des actifs intraçables via des mixers comme Tornado Cash. La sophistication technique devient secondaire. Dans ce contexte, la psychologie et la violence priment sur tout le reste.
Contrairement aux rançons classiques où les billets peuvent être marqués ou les transferts bloqués, ici l’extorsion s’accompagne d’un transfert quasi-instantané. Certains criminels exigent même que les fonds arrivent directement, via des wallets custodials (contrôlés à distance). En l’occurrence, ce qui favorise une évasion immédiate dans les pays sans accord d’extradition.
La France en première ligne des enlèvements crypto
La France est devenue l’un des épicentres de cette crise sécuritaire. En janvier 2025, David Balland, cofondateur d’une start-up crypto, et sa compagne ont été enlevés à leur domicile dans le Cher, avant d’être libérés par le GIGN. Plus récemment, à Paris, la fille de Pierre Noizat, PDG de Paymium, a échappé de peu à un enlèvement en pleine rue, grâce à l’intervention d’un commerçant. Ces incidents ont poussé le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, à promettre un renforcement de la sécurité pour les acteurs du secteur.
Des mesures insuffisantes
Malgré les promesses des autorités, les mesures de protection restent insuffisantes. Les criminels exploitent la rapidité et l’anonymat des transactions en cryptomonnaies pour agir avant que les forces de l’ordre ne puissent intervenir. La traçabilité des fonds, bien que possible, est souvent trop lente pour empêcher les crimes.
L’effet domino sur l’écosystème crypto
Ces actes ont des conséquences au-delà des victimes. Ils sapent la confiance dans les projets, effraient les investisseurs institutionnels, et fragilisent des marchés déjà volatils. Des développeurs quittent des projets DeFi par peur d’être exposés. Ces plateformes réduisent leurs fonctions peer-to-peer. Des conférences crypto sont annulées ou déplacées dans des zones sous surveillance militaire.
Cela impacte directement la compétitivité numérique des pays comme la France, qui aspire à devenir un hub européen de la finance décentralisée. Une attaque contre une figure crypto est désormais un acte déstabilisateur — économique, social, géopolitique.
Techniques de dissuasion à renforcer immédiatement
Face à cette menace croissante, une régulation plus stricte du secteur des cryptomonnaies devient indispensable. L’instauration de normes de sécurité pour les plateformes d’échange, la sensibilisation des investisseurs aux risques et la coopération internationale entre les forces de l’ordre sont autant de mesures nécessaires pour endiguer ce fléau.
Le principe de l’anonymat inversé
Il faut briser l’asymétrie actuelle : les criminels agissent dans l’ombre, les victimes vivent sous les projecteurs. Il devient crucial d’appliquer des pratiques inspirées de la « sécurité des élites militaires » : éviter la publication de données personnelles, flouter les visages, supprimer la géolocalisation des publications sociales, effacer les indices de richesse visibles.
Des solutions émergent : sociétés de cybersécurité proposant du « privacy shielding », brokers limitant la publicité sur les gros achats de tokens, ou « cold wallets » livrés sous pseudonyme. Mais c’est encore marginal.
Formation au réflexe de sécurité
Comme pour les dirigeants politiques, une culture du risque doit être enseignée dès les premières levées de fonds. De nombreux jeunes fondateurs ignorent les règles de base : double identités juridiques, plan de communication d’urgence, ligne directe avec les autorités compétentes. Une formation anti-rançon devrait faire partie intégrante des accélérateurs crypto.
Les seed phrases ne doivent jamais être mémorisées ou stockées localement. Les portefeuilles doivent être découpés en multi-signatures stockées dans des juridictions différentes, voire auprès de notaires ou d’entités de confiance.
Les garde-fous technologiques
Certaines technologies peuvent servir de pare-feu. Parmi les plus prometteuses :
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Wallets avec « panic button ». Destruction automatique de l’accès si une séquence spécifique est tapée.
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Délais de transfert personnalisés. Les grosses transactions exigent un laps de temps programmé, annulable à distance.
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Authentification biométrique décentralisée. Reconnaissance vocale ou faciale impossible à simuler sous la menace.
Des plateformes comme Gnosis ou Safe ont commencé à proposer ce type de dispositifs. Mais leur adoption reste faible.
Une réponse policière repensée aux enlèvements crypto
Les forces de l’ordre deviennent souvent dépassées. En effet, elles manquent de moyens techniques, de coordination internationale et de juristes spécialisés en actifs numériques. Il faut créer des unités transfrontalières crypto-rançon. À l’image d’Europol, elles pourraient fusionner expertise blockchain et capacités d’intervention armée.
La France pourrait piloter ce chantier au sein de l’UE. D’autant plus que les profils ciblés — souvent jeunes et français — donnent à ce combat une dimension de souveraineté technologique.
Les enlèvements crypto ne représentent pas un phénomène isolé
Les enlèvements liés aux cryptomonnaies représentent une menace sérieuse et en expansion. Cependant, ils représentent l’expression violente de la maturité du marché des actifs numériques. Ce n’est plus une menace virtuelle, mais une crise de sécurité mondiale. Elle appelle des solutions radicales, hybrides et innovantes. Sans une réponse coordonnée et déterminée, le secteur des cryptomonnaies pourrait devenir un terrain de chasse privilégié pour les criminels du monde entier.
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Si rien n’est fait, la prochaine vague ne visera plus seulement des figures publiques. Mais aussi les employés de plateformes, les développeurs anonymes et les porteurs de tokens à gros volumes. Le danger est immédiat, la riposte doit l’être aussi.